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Кафедра и трон. Переписка императора Александра I и профессора Г. Ф. Паррота - Андрей Юрьевич Андреев

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puis-je Vous exprimer le sentiment qui agite mon cœur en cet instant! Je crois Vous aimer davantage. Je me transporte en idée auprès de Vous dans ce moment délicieux où Vous avez appris Votre bonheur. Je sens Votre joie, Votre jouissance, je lis dans Votre cœur; j’entends le vœu sacré que Vous avez renouvelé à la Vertu de ne vivre que pour elle et par elle. Je soulève le voile de l’avenir. Je suis présent au moment plus délicieux encore où pour la première fois Vous presserez dans Vos bras ce rejeton précieux que Vous offrirez à Vos peuples comme le garant de leur félicité future, où Vous présenterez à la divinité ce que Vous avez de plus cher, en lui renouvelant l’offrande de Votre propre cœur.

L’idée que je Vous écris m’arrête. Puis-je confier au papier tout ce que je sens, tout ce que je pense? Vous me connaissez. Vous connaissez le vœu secret que Vous m’avez inspiré dès les premiers temps de notre connaissance. Vous me comprenez sûrement, ô mon Ami!

Dans la supposition que ce sera un fils dont Vous serez père Vous avez sûrement déjà songé au plan d’éducation que Vous suivrez. Vous avez tant de motifs d’y songer. Permettez-moi de Vous communiquer quelques idées énoncées brièvement mais mûries et éprouvées par l’expérience. Peut-être nous rencontrerons-nous sur la même route?

L’âge de la première enfance appartient à la Mère. Les besoins physiques de l’enfant, le besoin non moins pressant de la mère de prodiguer ses soins et sa tendresse, indiquent clairement la voie de la nature, qui réserve aux mères le mérite de la première éducation et à nous celui de sentir ce mérite et de nous attacher de plus en plus à celle qui met toutes ses jouissances dans le bonheur commun de la famille. En remettant ainsi la première éducation aux soins de Votre Épouse Vous désirerez peut-être qu’Elle s’acquière elle-même une instruction recherchée, qu’Elle puise dans les livres les règles qu’Elle doit suivre. Il n’existe qu’un livre pour les mères. C’est Emile3. Tout le reste n’est que fatras, mauvais commentaire de cet ouvrage immortel. L’Impératrice l’aura sûrement lu, peut-être plus d’une fois. Mais qu’Elle le lise à présent. À présent qu’Elle sent son enfant sous son cœur, Elle trouvera Emile nouveau, plus intéressant, plus lumineux que jamais. Ce n’est qu’à présent qu’Elle le comprendra parfaitement. Son cœur fera mille commentaires auxquels elle n’a jamais songé.

Vos droits et Vos devoirs commencent au second période de l’éducation, au sortir de la première enfance. Ce période date du moment où l’enfant sent les premières relations sociales, où il s’aperçoit qu’on obéit quand il commande. Il commence de bonne heure pour les fils des Rois. Épiez ce moment. Dès lors Votre devoir de Père serait de veiller au développement des facultés de Votre fils, de soigner toute son éducation. Mais Vous êtes Monarque et Vous ne pouvez pas sacrifier le bonheur présent de Votre nation à son bonheur futur. Il Vous faudra donc un second père à Votre fils. Ce choix Vous mettra en peine, et quoique Jean-Jacques se soit épuisé à prouver l’impossibilité de ce choix, c’est cependant à lui que je Vous adresse pour ce choix. Plus il accumule les difficultés, plus il instruit.

Le système d’éducation que Rousseau a exposé dans son Emile vaut beaucoup mieux que l’auteur ne l’a cru lui-même. Il le croit impraticable dans nos mœurs, et cependant c’est le seul praticable, parce que rien n’est bon, même dans nos relations artificielles, que ce qui est fondé sur les relations naturelles. Basons tout sur celles-ci; les alentours n’auront que trop de soin des autres. Au reste je Vous dois une remarque sur l’application de ce système au cas présent. Jean-Jacques nous enseigne à former un homme qui sache se retrouver dans les relations sociales, mais qui soit indépendant d’elles. Il donne à son élève des talents manuels pour qu’il sache trouver sa subsistance dans les premiers besoins des hommes, dans ces besoins qui existent sous tous les rapports. Il avait en vue la jeune noblesse française abandonnée alors à une éducation plus que féminine. Il pressentait pour ainsi dire la révolution qui a prouvé d’une manière terrible le besoin de ses principes. Emile arraché aux relations de sa naissance, frondant l’opinion et les besoins factices, trouvant sa subsistance et son contentement dans l’atelier d’un menuisier, nous plaît. Mais Emile, fils de Roi, appelé au trône, me paraîtrait bien petit en cet état. Il ne serait à mes yeux qu’un égoïste qui n’eût jamais senti le sublime de sa vocation. L’existence physique ne doit être rien pour un Monarque. Quand il ne saura plus remplir sa place, il n’en doit vouloir aucune autre. L’expérience a prouvé en outre que tous ces Rois qui s’étaient exercés à un métier n’ont été que des tourneurs, des serruriers, des pâtissiers, jamais des Rois. Les exercices gymnastiques sont les seuls qui conviennent à l’héritier d’un trône, parce que la gymnastique est pour le corps ce que la science est pour l’âme.

Rousseau d’un autre côté a trop peu fait de cas des connaissances scientifiques et en outre ce défaut commet souvent dans l’éducation d’un Monarque futur. Le principe ordinaire est qu’un Monarque devrait proprement tout savoir, mais que, comme cela est impossible, il faut qu’il sache un peu de tout. Il résulte de là que le Monarque ne sait rien bien. On veut lui enseigner l’art de régner, et pour cet effet on lui parle à 13 ans de Machiavel ou de l’Antimachiavel4, de Montesquieu et de Smith. Sans connaissances préliminaires, sans jugement formé à saisir les relations compliquées des États on raisonne avec lui sur ces relations sur lesquelles il n’existe même encore aucun système, aucune idée fixe, et l’on espère qu’il gouvernera. Il sera gouverné par les raisonneurs et les faiseurs.

<Tout homme qui veut être quelque chose dans l’État doit acquérir deux espèces de connaissances. Les unes, qui sont le principe des sciences politiques, tirées immédiatement de la nature des

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