Категории
Самые читаемые

Le port des brumes - Simenon

Читать онлайн Le port des brumes - Simenon

Шрифт:

-
+

Интервал:

-
+

Закладка:

Сделать
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 ... 19
Перейти на страницу:

— Si on ne parlait plus de tout cela ? proposa Mme Grandmaison avec un sourire engageant. Un gâteau, commissaire ?… Vraiment ?… Vous n’aimez pas les sucreries ?…

Deux fois ! C’était trop ! Et Maigret faillit, par protestation, tirer sa grosse pipe de sa poche.

— Vous permettez… Il faut que j’aille m’occuper de certains détails…

On n’essaya pas de le retenir et, somme toute, on ne tenait pas plus à sa présence qu’il ne tenait à être là. Dehors, il bourra sa pipe, marcha lentement vers le port. On le connaissait déjà. On savait qu’il avait trinqué avec le groupe de la buvette et on le saluait avec un rien de familiarité.

Comme il arrivait en vue du quai, la voiture qui emmenait le corps du capitaine Joris s’éloignait dans la direction de Caen et, derrière une fenêtre du rez-de-chaussée, on apercevait le visage de Julie que des femmes essayaient d’entraîner vers la cuisine.

Des gens étaient groupés autour d’une barque de pêche qui venait de rentrer et dont les deux marins triaient le poisson. Les douaniers, appuyés au parapet du pont, laissaient couler les lentes heures de garde.

— Je viens d’avoir confirmation de l’arrivée du Saint-Michel pour demain ! dit le capitaine en s’approchant de Maigret. Il est resté trois jours à Fécamp pour réparer son beaupré…

— Dites donc… Est-ce qu’il lui arrive de transporter de la rogue de morue ?…

— De la rogue ?… Non ! La rogue norvégienne arrive par des goélettes scandinaves ou par des petits vapeurs.

— Mais ils ne relâchent pas à Caen… Ils déchargent directement dans les ports sardiniers, comme Concarneau, Les Sables-d’Olonne, Saint-Jean-de-Luz…

— Et de l’huile de phoque ?

Cette fois, le capitaine ouvrit des yeux ronds.

— Pour quoi faire ?

— Je ne sais pas…

— Non ! Les caboteurs ont presque toujours les mêmes chargements : des légumes et surtout de l’oignon pour l’Angleterre, du charbon pour les ports bretons, de la pierre, du ciment, des ardoises… Au fait, je me suis renseigné près des éclusiers sur le dernier passage du Saint-Michel. Le 16 septembre, il est arrivé de Caen juste à la fin de la marée. On allait cesser le service. Joris a fait remarquer qu’il n’y avait pas assez d’eau dans le chenal pour prendre la mer, surtout par brouillard. Le patron a insisté pour franchir le sas quand même, afin de partir le lendemain à la première heure. Ils ont couché ici, tenez, dans l’avant-port, amarrés aux pilotis. À marée basse, ils étaient à sec. Ce n’est que vers neuf heures, le matin, qu’ils ont pu partir…

— Et le frère de Julie était à bord ?

— Sans doute ! Ils ne sont que trois : le patron, qui est en même temps propriétaire du bateau, et deux hommes. Grand-Louis…

— C’est le nom du forçat ?

— Oui. On dit Grand-Louis, parce qu’il est plus grand que vous et capable de vous étrangler d’une seule main…

— Un mauvais bougre ?

— Si vous le demandez au maire, ou à un bourgeois de l’endroit, il vous répondra que oui. Moi, je ne l’ai pas connu avant qu’il aille au bagne. Il n’est pas souvent ici. Tout ce que je sais, c’est qu’il n’a jamais fait de bêtises à Ouistreham. Il boit, bien sûr… Ou plutôt… C’est difficile à savoir… Il a toujours une demi-cuite… Il va… Il vient… Il traîne la patte, tient les épaules et la tête de travers, ce qui ne lui donne pas l’air franc… N’empêche que le patron du Saint-Michel en est content…

— Il est venu hier ici, en l’absence de sa sœur.

Le capitaine Delcourt détourna la tête, n’osant pas nier. Et Maigret comprit, à ce moment, qu’on ne lui dirait jamais tout, qu’entre ces hommes de la mer il existait une sorte de franc-maçonnerie.

— Il n’y a pas que lui…

— Que voulez-vous dire ?

— Rien… J’ai entendu parler d’un étranger qu’on a vu rôder… Mais c’est vague…

— Qui l’a vu ?…

— Je ne sais pas… On parle, comme ça… Vous ne prenez rien ?…

Pour la seconde fois, Maigret s’installa à la buvette, où les mains se tendirent.

— Dites donc ! Ils ont vite expédié leur besogne, les messieurs du Parquet…

— Qu’est-ce que vous buvez ?

— De la bière.

Le soleil ne s’était pas caché de la journée. Mais voilà que des écharpes de brume s’étiraient entre les arbres et que l’eau du canal commençait à fumer.

— Encore une nuit dans le coton ! soupira le capitaine.

Et, au même moment, on entendait la sirène hurler.

— C’est la bouée lumineuse, là-bas, à l’entrée de la passe.

— Le capitaine Joris allait souvent en Norvège ? demanda Maigret à brûle-pourpoint.

— Quand il naviguait pour l’Anglo-Normande, oui ! Surtout tout de suite après la guerre, parce qu’on manquait de bois. Du vilain chargement, qui ne laisse pas de place pour manœuvrer…

— Vous apparteniez à la même compagnie ?

— Pas longtemps. J’ai surtout navigué pour Worms, de Bordeaux. Je faisais le « tramway », comme on dit, c’est-à-dire toujours la même route : Bordeaux-Nantes et Nantes-Bordeaux… Pendant dix-huit ans !

— D’où sort Julie ?

— D’une famille de pêcheurs de Port-en-Bessin… Si l’on peut dire des pêcheurs !… Lui n’a jamais fait grand-chose… Il est mort pendant la guerre… La mère doit toujours vendre du poisson dans les rues, et surtout boire du vin rouge dans les bistrots.

Maigret, pour la deuxième fois en pensant à Julie, eut un drôle de sourire. Il la revoyait arrivant dans son bureau, à Paris, bien nette dans son tailleur bleu, avec un petit air volontaire.

Puis le matin même, quand elle luttait si maladroitement, comme une petite fille, pour ne pas lui donner le billet de son frère.

La maison de Joris s’estompait déjà dans la brume. Il n’y avait plus de lumière au premier étage, d’où le cadavre avait disparu, ni dans la salle à manger ! Rien que dans le corridor et, sans doute, derrière, dans la cuisine, où les deux voisines tenaient compagnie à la jeune fille.

Les aides-éclusiers entraient à leur tour à la buvette, mais, sensibles aux nuances, allaient s’asseoir à une table du fond et entamaient une partie de dominos. Le phare s’alluma.

— Vous nous remettrez ça ! dit le capitaine en montrant les verres. C’est ma tournée !

Ce fut d’une voix étrangement feutrée que Maigret questionna :

— À cette heure-ci, si Joris vivait, où serait-il ? Ici ?…

— Non ! chez lui ! avec des pantoufles aux pieds !

— Dans la salle à manger ? Dans sa chambre ?

— Dans la cuisine… à lire le journal, puis à lire un bouquin d’horticulture… Il lui était venu la passion des fleurs… Tenez ! malgré la saison son jardin en est encore plein…

Les autres riaient, mais ils étaient un peu gênés de n’avoir pas la passion des fleurs, de préférer le sempiternel bistrot.

— Il n’allait pas à la chasse ?

— Rarement… Quelquefois, quand on l’invitait…

— Avec le maire ?

— C’est arrivé… Quand il y avait du canard, ils allaient ensemble au gabion…

La buvette était trop peu éclairée, au point qu’on voyait mal, à travers la fumée, les joueurs de dominos. Un gros poêle alourdissait l’atmosphère. Et dehors c’était presque l’obscurité, mais une obscurité rendue plus trouble et comme malsaine par le brouillard. La sirène hurlait toujours. La pipe de Maigret grésillait.

Et, renversé sur sa chaise, il fermait à demi les yeux, dans un effort pour assembler tous les éléments épars qui formaient une masse sans cohésion.

— Joris a disparu pendant six semaines et est revenu le crâne fendu et réparé ! dit-il sans savoir qu’il pensait tout haut.

» Le jour de son arrivée le poison l’attendait.

Et ce n’est que le lendemain que Julie avait trouvé dans le placard l’avertissement de son frère !

Maigret poussa un long soupir et murmura en guise de conclusion :

— En somme, on a essayé de le tuer ! Puis on l’a guéri ! Puis on l’a tué pour de bon ! À moins…

Car ces trois propositions n’allaient pas ensemble. Et une pensée baroque naissait, si baroque qu’elle en était effrayante.

— À moins qu’on n’ait pas essayé de le tuer la première fois ? Qu’on n’ait voulu que lui enlever la raison !…

Les médecins de Paris n’affirmaient-ils pas que l’opération n’avait pu être faite que par un grand chirurgien ?

Mais fend-on le crâne d’un homme pour lui voler sa raison ?

Et puis ! qu’est-ce qui prouvait que Joris l’avait vraiment perdue ?

On regardait Maigret en observant un silence respectueux. Il n’y eut qu’un geste du douanier pour signifier à la serveuse :

— La même chose…

Et chacun était enfoncé dans son coin, dans l’atmosphère chaude, dans une rêverie moite que l’alcool rendait imprécise.

On entendit passer trois autos : le Parquet, qui regagnait Caen après la réception chez M. et Mme Grandmaison. À cette heure, le corps du capitaine Joris était déjà dans une armoire frigorifique de l’Institut médico-légal.

On ne parlait plus. Les dominos bougeaient sur la table dévernie, du côté des éclusiers. Et on sentait que le problème, peu à peu, s’était imposé à tous les esprits, qu’il pesait à tous, qu’il était là, presque palpable, en suspension dans l’air. Les visages se renfrognaient. Le plus jeune des douaniers, impressionné, se leva en balbutiant :

— Il est temps que j’aille retrouver ma femme.

Maigret tendit sa blague à son voisin, qui bourra une pipe et passa le tabac au suivant. Alors une voix, celle de Delcourt, s’éleva.

Il se levait à son tour pour échapper à cette ambiance écrasante qui s’était créée.

— Je vous dois combien, Marthe ?

— Les deux tournées ?… Neuf soixante-quinze… Plus trois francs dix d’hier…

Tout le monde était debout. Un air humide pénétrait par la porte ouverte. Les mains se tendirent.

Dehors, chacun fonçait de son côté, dans le brouillard. On entendait résonner les pas et, par-dessus tout, vibrait la clameur de la sirène.

Maigret, immobile, resta un moment à écouter tous ces pas qui s’éloignaient en étoile autour de lui. Des pas lourds, avec des hésitations, des précipitations soudaines…

Et il comprit que, sans qu’on pût dire comment cela s’était fait, la peur était née.

Ils avaient peur, tous ceux qui s’en allaient, peur de rien, de tout, d’un danger imprécis, d’une catastrophe insoupçonnable, de l’obscurité et des lumières.

— Si ce n’était pas fini ?…

Maigret secoua la cendre de sa pipe et boutonna son pardessus.

IV

Le Saint-Michel

— Ça vous plaît ? s’inquiétait le patron à chaque plat.

— Ça va ! Ça va ! répondait Maigret qui, en réalité, ne savait pas au juste ce qu’il mangeait.

Il était seul dans la salle à manger de l’hôtel, conçue pour quarante ou cinquante couverts. Un hôtel pour les baigneurs venant l’été à Ouistreham. Des meubles comme dans tous les hôtels de plage. Des petits vases sur les tables.

Aucun rapport avec le Ouistreham qui intéressait le commissaire et qu’il commençait à comprendre.

C’était la raison de sa satisfaction. Ce dont il avait le plus en horreur, dans une enquête, c’étaient les premiers contacts, avec tout ce qu’ils comportent de gaucheries et d’idées fausses.

Le mot Ouistreham, par exemple ! À Paris, il évoquait une image sans rapport avec la réalité, un port dans le genre de Saint-Malo. Puis, le premier soir, Maigret le voyait sinistre, habité par des gens farouches et silencieux.

Maintenant, il avait fait connaissance. Il se sentait chez lui. Ouistreham, c’était un village quelconque, au bout d’un morceau de route plantée de petits arbres. Ce qui comptait seulement, c’était le port : une écluse, un phare, la maison de Joris, la Buvette de la Marine.

Et le rythme de ce port, les deux marées quotidiennes, les pêcheurs passant avec leurs paniers, la poignée d’hommes ne s’occupant que du va-et-vient des bateaux…

D’autres mots avaient un sens plus précis : capitaine, cargo, caboteur… Il voyait tout cela circuler et il comprenait la règle du jeu…

Le mystère n’était pas éclairci. Tout ce qui était inexplicable au début restait inexplicable. Mais, du moins, les personnages étaient-ils situés chacun à sa place, chacun dans son atmosphère, avec son petit trantran journalier…

— Vous resterez ici longtemps ? demanda le patron en servant lui-même le café.

— Je ne sais pas.

— Ce serait arrivé pendant la saison que cela m’aurait fait un tort inouï…

C’étaient quatre Ouistreham exactement que Maigret discernait maintenant : Ouistreham-Port… Ouistreham-Village… Ouistreham-Bourgeois, avec ses quelques villas, comme celle du maire, le long de la grand-route… Enfin Ouistreham-Bains-de-Mer, momentanément inexistant.

— Vous sortez ?

— Je vais faire un tour avant de me coucher.

C’était l’heure de la marée. Dehors, il faisait beaucoup plus froid que les jours précédents, parce que le brouillard, sans cesser d’être opaque, se transformait en gouttelettes d’eau glacée.

Tout était noir. Tout était fermé. On ne voyait que l’œil mouillé du phare. Et, sur l’écluse, des voix se répondaient.

Un petit coup de sirène. Un feu vert et un feu rouge qui se rapprochaient, une masse qui glissait au ras du mur…

Maigret, maintenant, comprenait la manœuvre. C’était un vapeur qui arrivait du large. Une ombre qui s’approchait allait lui prendre son amarre, la capeler à la première bitte. Puis, de la passerelle, le commandant lancerait l’ordre de battre arrière pour stopper…

Delcourt passa près de lui, fixant les jetées avec inquiétude.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je ne sais pas…

Il fronçait les sourcils comme s’il eût été possible, à force de volonté, de distinguer quelque chose dans le noir absolu. Déjà deux hommes allaient refermer la porte de l’écluse. Delcourt leur cria :

— Espérez un instant !

Et soudain, étonné :

— C’est lui…

Au même instant, une voix s’élevait, à moins de cinquante mètres, qui criait :

— Eh ! Louis ! Amène les focs et veille à atterrir par bâbord.

C’était en contrebas, dans le trou sombre, du côté des jetées. Une luciole se rapprochait. On devina quelqu’un qui bougeait, de la toile qui s’abattait avec un grincement d’anneaux sur la draille.

Puis une grand-voile déployée qui passait à portée de la main.

— Je me demande comment ils ont fait ! grommela le capitaine.

Et il hurla, tourné vers le voilier :

— Plus loin ! Poussez le nez à bâbord du vapeur, sinon on ne pourra pas refermer les portes.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 ... 19
Перейти на страницу:
На этой странице вы можете бесплатно скачать Le port des brumes - Simenon торрент бесплатно.
Комментарии