Том 7. О развитии революционных идей в России - Александр Герцен
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Pouchkine est on ne peut plus national et en même temps intelligible aux étrangers. Il contrefait rarement la langue populaire des chansons russes, il exprime sa pensée telle qu'elle surgit dans son esprit. Comme tous les grands poètes, il est toujours au niveau de son lecteur, il grandit, devient sombre, orageux, tragique, son vers mugit comme la mer, comme la iorêt agitée par une tempête, mais il est en même temps serein, limpide, pétillant, avide de plaisirs, d'émotions. Partout, le poète russe est réel, rien en lui de maladif, rien de cette pathologie psychologique exagérée, de ce spiritualisme chrétien abstrait, qu'on voit si souvent dans les poètes allemands. Sa muse n'est pas un être pâle, aux nerfs attaqués, roulé dans un linceul, c'est une femme ardente, entourée de l'auréole de la santé, trop riche de sentiments véritables pour en chercher de factices, assez malheureuse pour ne pas inventer de malheurs artificiels. Pouchkine avait la nature panthéiste, épicurienne des poètes grecs, mais il y avait encore dans son âme un élément tout moderne. En se repliant sur lui-même, il trouvait au fond de son âme la pensée amère de Byron, l'ironie corrosive de notre siècle.
On a cru voir dans Pouchkine un imitateur de Byron. Le poète anglais a en effet exercé une grande influence sur le poète russe. On ne sort jamais du commerce d'un homme fort et sympathique sans subir son influence, sans mûrir à ses rayons. La confirmation de ce qui vit dans notre cœur, par l'assentiment d'un esprit qui nous est cher nous donne un élan et une portée nouvelle. Mais il y a loin de cette action naturelle à l'imitation. Après les premiers poèmes de Pouchkine où l'influence de Byron se fit sentir puissamment, il devint à chaque nouvelle production de plus en plus original; toujours plein d'admiration pour le grand poète anglais, il ne fut ni son client ni son parasite, «ni traduttore ni traditore».
Pouchkine et Byron s'écartent complètement l'un de l'autre vers la fin de leur carrière, et cela par une cause bien simple; Byron était profondément anglais et Pouchkine profondément russe, russe de la période de Pétersbourg. Il connaissait toutes les soulfrances de l'homme civilisé, mais il avait une foi dans l'avenir que l'homme de l'Occident n'avait plus. Byron, la grande individualité libre, l'homme qui s'isole dans son indépendance et qui s'enveloppe de plus en plus dans son orgueil, dans sa philosophie fière et sceptique, devient de plus en plus sombre et implacable. Il ne voyait aucun avenir prochain, accablé de pensées amères, dégoûté du monde, il va livrer ses destinées à un peuple de pirates slavo-héllènes qu'il prend pour des Grecs de l'ancien monde. Pouchkine, au contraire, se calme de plus en plus, il se plonge dans l'étude de l'histoire russe, rassemble des matériaux pour une monographie de Pougatcheff, il compose un drame historique, Boris Godounoff, il a une foi instinctive dans l'avenir de la Russie; les cris de triomphe et de victoire qui l'ont frappé enfant encore, en 1813 et 1814, retentissaient dans son âme; il a été même entraîné pendant quelque temps par un patriotisme pétersbourgeois qui se vante du nombre de baïonnettes, qui s'appuie sur les canons. Sans doute cette morgue est aussi peu pardonnable que l'aristocratisme poussé à l'excès de lord Byron, mais la cause en est évidente. Il est douloureux à dire, mais Pouchkine avait un patriotisme exclusif; de grands poètes ont été courtisans, témoins Gœthe, Racine, etc.; Pouchkine n'a été ni courtisan, ni gouvernemental, mais la force brutale de l'Etat lui plaisait par instinct patriotique, ce qui fit qu'if partagea le vœu barbare de répondre aux raisonnements par des boulets. La Russie est en partie esclave, parce qu'elle tiouve de la poésie dans la force matérielle et voit de la gloire à être l'épouvantail des peuples.
Ceux qui disent qu'Onéguine, poème de Pouchkine, est le Don Juan des mœurs russes ne comprennent ni Byron, ni Pouchkine, ni l'Angleterre, ni la Russie: ils s'en tiennent à la forme extérieure. Onéguine est la production la plus importante de Pouchkine, elle a absorbé la moitié de son existence. Ce poème sort même de la période qui nous occupe, il a été mûri par les tristes années qui ont suivi le 14 décembre, et l'on irait croire qu'une œuvre pareille, une autobiographie poétique serait une imitation!
Onéguine, ce n'est ni Hamlet, ni Faust, ni Manfred, ni Obermann, ni Trenmor, ni Charles Moor; Onéguine est un Russe, il n est possible qu'en Russie, là il est nécessaire et on l'y rencontre a chaque pas. Onéguine, c'est un fainéant, parce qu'il n'a jamais eu d'occupation; un homme superflu dans la sphère où il se trouve, sans avoir assez de force de caractère pour en sortir. C’est un homme qui tente la vie jusqu'à la mort et qui voudrait essayer de la mort pour voir si elle ne vaut pas mieux que la vie. a tout commencé sans rien poursuivre, il a pensé d'autant plus qu'il a moins fait, il est vieux à l'âge de vingt ans et rajeunit par l'amour en commençant à vieillir. Il a toujours attendu comme nous tous, quelque chose, parce que l'homme n'a pas assez de folie pour croire à la durée de l'état actuel de la Russie… Rien n'est venu, et la vie s'en allait. Le personnage d'Onéguine est si national qu'il se rencontre dans tous les romans et dans tous les poèmes qui ont eu quelque retentissement en Russie, non pas qu'on ait voulu le copier, mais parce qu'on le trouve continuellement autour de soi ou en soi-même.
Tchatski, le héros d'une comédie célèbre de Griboïédoff, est un Onéguine raisonneur, son frère aîné.
Le Héros de nos jours, par Lermontoff, est son frère cadet. Même dans, les productions secondaires, Onéguine reparaît, outré ou incomplet, mais reconnaissable. Si ce n'est lui, c'est au moins sa copie. Le jeune voyageur, dans le Tarantass du cte Sollogoub, est un Onéguine borné et mal élevé. Le fait est que tous, nous sommes plus ou moins Onéguine, à moins que nous n'aimions mieux être tchinovnik (employé) ou pomechtchik (propriétaire).
La civilisation nous perd, nous désoriente, c'est elle qui fait que nous sommes à charge aux autres et à nous-mêmes, désœuvrés, inutiles, capricieux; que nous passons de l'excentricité à la débauche, dépensant sans regret notre fortune, notre cœur, notre jeunesse, et cherchant des occupations, des sensations, des distractions, comme ces chiens d'Aix-la-Chapelle de Heine qui demandent aux passants, comme une grâce, un coup de pied pour les désennuyer. Nous faisons tout, de la musique, de la philosophie, de l'amour, de l'art militaire, du mysticisme, pour nous distraire, pour oublier le vide immense qui nous opprime.
Civilisation et esclavage, sans même qu'il y ait «un chiffon» entre les deux, pour empêcher que nous ne soyons pas broyés intérieurement ou extérieurement entre ces deux extrêmes forcément rapprochés!
On nous donne une éducation large, on nous inocule les désirs, les tendances, les souffrances du monde contemporain, et l'on nous crie: «Restez esclaves, muets, passifs, ou vous êtes perdus». En récompense, on nous laisse le droit d'écorcher le paysan et de dissiper sur le tapis vert ou au cabaret l'impôt de sang et de larmes que nous prélevons sur lui.
Le jeune homme ne rencontre aucun intérêt vivace dans ce monde de servilisme et d’ambition mesquine. Et pourtant, c’est dans cette société, qu’il est condamne à vivre, car le peuple encore plus élogné de iui. «Ce monde» est au moins composé d’étres déchus de la même espéce, tandit qu’il n’y a rien de commun entre lui et le peuple. Les traditions ont été si bien rompues par Pierre Ier qu'il n'y a pas de force humaine capable de les réunir, au moins quant à présent. Il nous reste l'isolement ou la lutte et nous n'avons pas assez de force morale ni pour le premier ni pour la seconde. C'est ainsi qu'on se fait Onéguine, si l'on ne périt pas dans les maisons publiques ou dans les casemates d'une forteresse.
Nous avons volé la civilisation, et Jupiter veut nous punir avec le même acharnement qu'il a mis à tourmenter Prométhée.
A côté d'Onéguine, Pouchkine a placé Vladimir Lénski, autre victime de la vie russe, le vice-versa d'Onéguine. C'est la souffrance aiguë, à côté de la souffrance chronique. C'est une de ces natures virginales, pures, qui ne peuvent s'acclimater dans un milieu corrompu et fou, qui ont accepté la vie, mais ne peuvent rien accepter de plus du sol immonde, si ce n'est la mort. Victimes expiatoires, ces adolescents passent jeunes, pâles, marqués au front par la fatalité, comme un reproehe, comme un remords et laissent encore plus noire la nuit triste dans laquelle «nous nous mouvons et sommes».
Pouchkine a tracé le caractère de Lénski avec cette tendresse, qu'on a pour les rêves de sa jeunesse, pour les réminiscences de ce temps où l'on a été si plein d'espérance, de pureté, d'ignorance. Lénski est le dernier cri de conscience d'Onéguine, car c'est lui-oiênie, c'est son idéal de jeunesse. Le poète a vu qu'un tel homme l'avait rien à faire en Russie, il l'a tué da la main d'Onéguine, d'Onéguine qui l'aimait et qui, en le visant, ne voulait pas le blesser. Pouchkine s'est effrayé lui-même de cette fin tragique, il se presse de consoler le lecteur, en lui traçant la vie banale qui attendait le jeune poète.
A côté de Pouchkine se place aussi un Lénski – ce fut Vénévitinoff, âme candide et poétique écrasée par les mains grossieres de la vie russe, à vingt-deux ans.
Entre ces deux types, entre l'enthousiaste dévoué, entre le poète, et de l'autre côté, l'homme fatigué, aigri, inutile; entre la tombe de Lénski et l'ennui d'Onéguine, se traîne le fleuve profond et bourbeux de la Russie civilisée, avec ses aristocrates, bureaucrates, officiers, gendarmes, grands-ducs et empereur, masse informe et muette de bassesse, de servilisme, de lérocité et d'envie, qui entraîne et engloutit tout, «ce goultre, comme dit Pouchkine, où, cher lecteur, nous nous baignons avec vous».
Pouchkine a débuté par des poésies révolutionnaires d'une grande beauté. Alexandre l'a exilé de Pétersbourg sur les confins méridionaux de l'empire; nouvel Ovide, il passa l'époque de sa vie de 1819 à 1825 dans la Chersonese taurique. Séparé de ses amis, loin du mouvement politique, au centre d'une nature magnifique mais sauvage, Pouchkine, poète avant tout, se concentra dans son lyrisme; ses pièces lyriques sont les phases de sa vie, la biographie de son âme; on y trouve les vestiges de tout ce qui émouvait cette âme de feu, la vérité et l'erreur, l'entraînement passager d'un moment et les sympathies profondes et éternelles. Nicolas rappela Pouchkine de l'exil quelques jours après avoir fait pendre les héros du 14 décembre. Il voulut le perdre dans l'opinion publique par sa grâce, le réduire par ses bontés.
Pouchkine rentra et ne reconnut plus ni la société de Moscou ni la société de Pétersbourg. Il ne trouva plus ses amis, on n'osait même pas proférer leur nom, on ne parlait que d'arrestations, de visites domiciliaires, d'exil; tout était sombre et terrifié. Il rencontra un instant Mickiewicz, cet autre poète slave; ils se tendirent la main comme au milieu d'un cimetière. L'orage grondait sur leurs têtes: Pouchkine revenait de l'exil, Mickiewicz s'y rendait. Leur entrevue fut lugubre, mais ils ne se comprirent pas. Le cours de Mickiewicz, au Collège de France, a mis au jour le dissentiment qui existait entre eux; pour un Polonais et un Russe le temps de se comprendre n'était pas encore arrivé.
Nicolas, continuant la comédie, nomma Pouchkine gentilhomme de la chambre. Celui-ci saisit le trait et ne vint pas à la cour. On lui présenta alors l'alternative de se rendre au Caucase ou de revêtir l'habit de cour. Il était déjà marié à une femme qui a causé ensuite sa perte, un second exil qui paraissait plus pénible que le premier, – il opta pour la cour. On reconnaît le mauvais côté du caractère russe dans ce manque de fierté, de résistance, dans cette souplesse douteuse.
Le grand-duc héritier le complimentant un jour à l'occasion de sa promotion, «Altesse, lui répondit Pouchkine, vous êtes le premier qui me félicitez à ce sujet».
En 1837, Pouchkine fut tué en duel par un de ces spadassins étrangers qui, comme les mercenaires du moyen âge ou les Suisses de nos jours, vont mettre leur épée au service de tout despotisme. Il tomba au milieu de la plénitude de ses forces, sans avoir achevé ses chants, sans avoir dit ce qu'il avait à dire.
Tout Pétersbourg, à l'exception de la cour et de son entourage, pleura; ce fut alors seulement qu'on vit quelle popularité il avait acquise. Pendant son agonie, une foule compacte se pressait autour de sa maison pour avoir des nouvelles de sa santé. Comme c'était à deux pas du Palais d'hiver, l'empereur put, de ses fenêtres, contempler la foule; il en conçut de la jalousie et confisqua au public les funérailles du poète; on transporta furtivement, par une nuit glaciale, le corps de Pouchkine, entouré de gendarmes et d'agents de police, dans une tout autre église que celle de sa paroisse; là, un prêtre lut hâtivement la messe des morts, un traîneau emporta le corps du poète dans un couvent du gouvernement de Pskov, où se trouvaient ses terres. Lorsque la foule ainsi trompée se porta à l'église où avait été déposé le défunt, la neige avait déjà effacé toute trace du convoi.
Un sort terrible et sombre est réservé chez nous à quiconque ose lever la tête au-dessus du niveau tracé par le sceptre impénal; poète, citoyen, penseur, une fatalité inexorable les pousse dans la tombe. L'histoire de notre littérature est un martyrologe ou un registre des bagnes. Ceux-mêmes que le gouvernement a'épargnés périssent, à peine éclos, se pressant de quitter la vie. Là sotto i giorni brevi e nebulosi Nasce una goûte a cui il morir non duole.