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Французские сказки / Contes de fées français - София Андреевна Бакаева

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ce qu’il en était.

A peine s’avance-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s’écartent d’eux-mêmes pour le laisser passer : il marche vers le château qu’il voyait au bout d’une grande avenue où il entre. Il continue donc son chemin : un Prince jeune et amoureux est toujours vaillant. Il entre dans une grande avant-cour où tout ce qu’il voit d’abord est capable de le glacer de crainte : c’était un silence affreux, l’image de la mort s’y présentait partout, et ce n’était que des corps étendus d’hommes et d’animaux, qui paraissaient morts. Il reconnaît pourtant bien au nez bourgeonné et à la face vermeille des Suisses qu’ils n’étaient qu’endormis[95], et leurs tasses, où il y avait encore quelques gouttes de vin.

Il passe une grande cour pavée de marbre, il monte l’escalier, il entre dans la salle des gardes. Il traverse plusieurs chambres pleines de gentilshommes et de dames, dormant tous, les uns debout, les autres assis ; il entre dans une chambre toute dorée, et il voit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu’il a jamais vu : une Princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat resplendissant avait quelque chose de lumineux et de divin. Il s’approche en tremblant et en admirant, et se met à genoux auprès d’elle.

Alors comme la fin de l’enchantement est venue, la Princesse s’éveille :

— Est-ce vous, mon Prince ? lui a-t-elle dit, vous vous êtes bien fait attendre.

Le Prince, charmé de ces paroles, et plus encore de la manière dont elles étaient dites, ne savait comment lui témoigner sa joie et sa reconnaissance ; il l’assure qu’il l’aimait plus que lui-même. Ses discours étaient mal rangés : peu d’éloquence, beaucoup d’amour.

Il était plus embarrassé qu’elle, et l’on ne doit pas s’en étonner ; elle avait eu le temps de songer à ce qu’elle aurait à lui dire[96], car

il y a apparence (l’histoire n’en dit pourtant rien) que la bonne Fée, pendant un si long sommeil, lui avait procuré le plaisir[97] des songes agréables. Enfi n il y avait quatre heures qu’ils se parlaient, et ils ne s’étaient pas encore dit la moitié des choses qu’ils avaient à se dire.

Cependant tout le palais s’était réveillé avec la Princesse ; chacun songeait à faire sa charge, et comme ils n’étaient pas tous amoureux, ils mouraient de faim ; la Dame d’Honneur, pressée comme les autres, s’est impatienté, et a dit tout haut à la Princesse que la viande était servie. Le Prince aide la Princesse à se lever; elle était tout habillée et fort magnifi quement ; mais il se garde bien de lui dire qu’elle était habillée comme ma grand-mère, et qu’elle avait un collet monté : elle n’en était pas moins belle.

Ils passent dans un salon de miroirs, et y soupent, servis par les Offi ciers de la Princesse ; les violons et les hautbois jouent de vieilles pièces, mais excellentes ; et après souper, sans perdre de temps, le grand aumônier les marie dans la chapelle du château, et la Dame d’Honneur leur tire le rideau[98] : ils dorment peu, la Princesse n’en avait pas grand besoin, et le Prince la quitte dès le matin pour retourner à la ville, où son père devait être en peine de lui.

Le Prince lui a dit qu’en chassant il s’était perdu[99] dans la forêt, et qu’il avait couché dans la hutte d’un charbonnier, qui lui avait fait manger du pain noir et du fromage. Le Roi son père, qui était bon homme, l’a cru, mais sa mère n’en était pas bien persuadée, et voyant qu’il allait presque tous les jours à la chasse, et qu’il avait toujours une raison pour s’excuser, quand il avait couché[100] deux ou trois nuits dehors, elle ne doutait plus qu’il avait quelque amourette : car il vivait avec la Princesse plus de deux ans entiers, et en avait deux enfants, dont le premier, qui était une fi lle, a été nommée l’Aurore, et le second un fi ls, qu’on a nommé le Jour, parce qu’il paraissait encore plus beau que sa sœur.

La Reine disait plusieurs fois à son fi ls, pour le faire s’expliquer, qu’il fallait se contenter dans la vie, mais il n’osait jamais lui confi er son secret ; il la craignait quoiqu’il l’aimât, car elle était de race Ogresse ; on disait même tout bas à la Cour qu’elle avait les inclinations des Ogres, et qu’en voyant passer de petits enfants, elle avait toutes les peines du monde à se retenir[101] de se jeter sur eux ; ainsi le Prince ne voulait jamais rien dire.

Mais quand le Roi est mort, ce qui est arrivé au bout de deux ans, et qu’il se voyait le maître, il déclarait publiquement son mariage, et allait en grande cérémonie chercher la Reine sa femme dans son château. On lui a fait une entrée magnifi que dans la ville capitale, où elle est entré au milieu de ses deux enfants.

Quelque temps après, le Roi allait faire la guerre à l’empereur Cantalabutte son voisin. Il a laissé la régence du royaume à la Reine sa mère, et lui recommandait vivement sa femme et ses enfants : il devait être à la guerre tout l’été, et dès qu’il est parti, la Reine-mère envoyait sa bru et ses enfants à

une maison de campagne dans les bois, pour pouvoir plus aisément assouvir son horrible envie.

Elle y allait quelques jours après, et a dit un soir à son Maître d’Hôtel :

— Je veux manger demain à mon dîner la petite Aurore.

— Ah ! Madame, a dit le Maître d’Hôtel.

— Je le veux, a dit la Reine (et elle l’a dit d’un ton d’Ogresse qui a envie de manger de la chair fraîche), et je veux

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